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Introduction : l'Hôtel Lantin et sa collection
Hotel Lantin
Les collections des Magnin
Cette collection fut donnée à l'État par Maurice Magnin en 1938. D'origine jurassienne, Jean-Hugues Magnin, son grand-père, épousa Marie-Julie Philippon, la fille d'un maître de forges, puis s'installa à Dijon. Leur fils Joseph mena une brillante carrière politique qui le conduisit jusqu'à la vice-présidence du Sénat et à la gouvernance de la Banque de France. Il avait épousé Pauline Belloncle en 1852.
La collection est due à leurs deux enfants, Maurice et Jeanne. Celle-ci se forma à la peinture et devint historienne d'art. Quant à Maurice, conseiller-maître à la Cour des comptes, il se forma à l'hôtel des ventes de Drouot et se consacra à sa collection qu'il débuta en 1881.
La construction du bâtiment débuta après 1652, date à laquelle Étienne Lantin, maître ordinaire à la chambre des comptes de Bourgogne, hérita du terrain, et fit bâtir un hôtel particulier qui se distingue par la qualité de son escalier monumental. Cet escalier est couronné par un dôme octogonal paré d'un riche décor en stuc. La frise dans les pilastres porte alternativement dans les métopes la chouette – emblème de Thémis, la déesse de la Loi -, les chiffres enlacés d'Étienne Lantin et son épouse Catherine Maleteste, la guivre (le serpent), emblème des Lantin, enfin, le croissant et l'étoile du blason d'Anne Ocquidem, mère de Lantin.
L'hôtel passa en différentes mains, avant d'être acheté par Jean-Hugues Magnin. Une transformation importante, mais réalisée avec un souci d'unité, fut l'adjonction en 1851 d'un étage aux écuries situées au fond de la cour, dans le style Louis XV.
Jeanne et Maurice n'ont pas cherché à concurrencer les grandes collections, d'autant plus qu'ils s'étaient imposés des limites budgétaires pour leurs acquisitions. Un souci pédagogique détermina sans doute l'achat de certaines œuvres et se trouve à l'origine de l'accrochage chronologique et par école. La collection, riche de 1100 peintures, plus de 600 dessins, d'objets d'art et de mobilier, offre un panorama plus ou moins représentatif de l'art occidental, du XIVe au dbut du XXe siècle. Il s'agissait avant tout de rassembler des œuvres moins convoitées, d'artistes moins cotés ou moins connus. Comme l'écrit Jeanne : “On y a moins souvent cherché l'éclat souvent illusoire des noms que la chaîne des talents à travers les âges”.
Les Plaisirs de l'hiver
Dans cette salle où sont exposées des œuvres nordiques principalement du XVIe siècle, le dessus de cheminée est décoré d'un bas-relief représentant Hercule couronné par la gloire. Il s'agit de la copie du morceau de réception à l'Académie royale du sculpteur Martin Desjardins, qu'Étienne Lantin commanda vingt ans après l'exécution de l'original (on y reconnaît la guivre, emblème des Lantin).
Les Magnin acquirent quelques belles copies d'artistes prestigieux. C'est le cas de ce Paysage d'hiver avec une trappe à oiseaux, l’une des nombreuses répliques d’une œuvre de Pieter Brueghel l'Ancien. Ce travail de « copiste » - qui n'en est pas tout à fait un car chaque version est légèrement différente – continue de susciter l'engouement des amateurs, comme à l'époque des Brueghel. Il bénéficie également de l'attention renouvelée des historiens d'art qui étudient les processus de fabrication des œuvres au sein des ateliers, comme ceux liés au marché de l'art, particulièrement développé aux Pays-Bas. D'après quel modèle Pieter Brueghel le Jeune travailla-t-il ? Il ne disposait plus en effet de la peinture de son père, peinte trente ans auparavant, en 1565. Des chercheurs ont supposé l'existence d'un dessin, modèle précis élaboré par le père et sur lequel devaient figurer des indications de couleurs. À première vue, l’œuvre semble représenter simplement la réalité visible. Mais ce tableau possède sans doute une signification plus profonde. Le piège va bientôt tuer des oiseaux, la glace peut céder sous le poids des hommes et le trou dans la glace constitue un danger pour le patineur insouciant. La composition ferait allusion à la précarité de l'existence et les deux corbeaux au premier plan pourraient être une allusion à la mort. Dans l'atmosphère grise et blonde qui unit au ciel ouaté la face glacée du canal, de vives petites silhouettes s'agitent joyeusement. Tout le village est descendu sur la glace ; ceux-ci patinent, d'autres cheminent en sabots, certains ont entamé une partie de hockey. La douce neige étend sa blancheur immaculée sur les grands toits qui encapuchonnent les masures, sur le sol bossué où se détachent en noir les arbres dénudés, les palissades et les haies de clôture. En haut de la berge un trébuchet offre son appât à la gent emplumée, voletant dans les broussailles, perchant au bout des branches ; à travers leur lacis le blanc clocher pointe au-dessus des bâtiments rustiques, tassés autour de lui comme le troupeau autour du berger. Aussi loin que la vue s'étend, la plaine jalonnée de saules ondule sous la neige qui confond avec l'horizon voilé d'une cendre fine. Plus encore que la plaisante vérité du détail et la justesse des moindres mouvements, on goûte ici la rare qualité de l'air et de la lumière. » (Jeanne Magnin)
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Paysage avec le Belvédère du Vatican
Installé à Rome dès 1688, Bloemen y resta jusqu’à sa mort. Ses paysages se situent dans la lignée du classicisme italien issu des Carrache et du Dominiquin. Des paysages italianisants de Claude Gellée, il paraît avoir admiré la lumière et la clarté, sans pour autant jamais peindre le soleil, qui lui sert à décrire le paysage. Le rôle de Gaspard Dughet est patent pour la composition et la touche d'animation conférée ici par l'effet du vent.
Le surnom « d’Orrizonte » souligne la facilité qu’avait l’artiste à rendre d’amples et poétiques lointains. Bloemen affectionnait la campagne romaine ; il entreprit de nombreux périples dans les monts albins pour dessiner des sites pittoresques ou des villages d’allure médiévale qu’il incorporait ensuite à ses compositions. A ce titre, son œuvre - comme celle de Poussin ou Lorrain - constitue un précieux témoignage sur les sites du Latium à cette époque. Ce tableau peut être daté de la fin de la carrière de l’artiste, vers 1740. Typique du paysage composé qui subordonne toute vraisemblance à l'intention et l'effet général, l’œuvre associe des arbres de différentes latitudes, transplante le Belvédère du Vatican dans la campagne romaine, et fait évoluer les personnages du premier plan près de ruines antiques évoquant une grandeur passée. L'œuvre combine la sérénité classique et idéale d’un Poussin avec des éléments de végétation et d’architecture à dominante pittoresque. Le trophée aux instruments de musique qui décore le dessus du miroir est sans doute lié au frère du propriétaire des lieux, Jean-Baptiste Lantin, musicien réputé, parrain du grand compositeur dijonnais Jean-Philippe Rameau (1683-1764).
Extrait musical : Jean-Philippe Rameau, pièce de clavecin pour le 4ème concert, dit La Lapoplinière
Le Festin des dieux
Bijlert séjourna à Rome au début des années 1620 et, comme ses condisciples d’Utrecht, Ter Brugghen, Honthorst ou Baburen, fut impressionné par l’art du Caravage. Cependant, la faveur considérable dont jouissait le peintre italien ne dura pas. Son influence avait presque disparu vers 1630, lorsque Bijlert se tourna vers le classicisme.
La composition en frise, la luminosité diurne, les couleurs claires peu contrastées répondent à ce tournant esthétique. Cependant, le satyre dansant devant la table et le Bacchus allongé au premier plan pressant au-dessus de sa bouche une grappe de raisin rappellent, de façon édulcorée, le naturalisme du Caravage : chairs à teinte ocre, corps vus de près dans des attitudes non orthodoxes. Sur l’Olympe, les dieux sont rassemblés pour un banquet. À gauche se tiennent Minerve, Diane, Mars et Vénus accompagnés de l’Amour. Flore, la déesse du printemps, se trouve derrière eux. Apollon couronné, identifiable à sa lyre, préside au centre de la table. On reconnaît plus loin Hercule avec sa massue et Neptune avec son trident. Certains dieux importants manquent, probablement en raison de la coupure dont la toile a souffert. La présence du paon de Junon le laisse supposer. Le thème était populaire en Hollande ; la gravure de Goltzius, le Mariage de Psyché et de l’Amour, d’après Spranger, déclencha une abondante production d’œuvres illustrant le Festin des dieux. Dans le contexte de la Réforme, dans lequel la commande pour les temples avait disparu, l'artiste trouva un stratagème pour peindre une Cène christique sous le couvert d'un sujet mythologique.
La Femme au livre
Assise dans un fauteuil, la dame est vêtue d’un casaquin de velours rouge dont la bordure d’hermine s’écarte légèrement sur une robe gris-beige. Sa tête est entourée d’un ample fanchon qui ramène en avant les deux grosses perles des boucles d’oreille. De sa main droite elle tient un livre ouvert dont elle désigne le texte avec sa main gauche, comme pour prendre à parti le spectateur. Les tranches et les signets verts avivent le rouge du costume. Une draperie brune sert de fond ; ses plis reprennent en les variant les lignes essentielles du tableau.
Alors que la pratique habituelle consistait à opposer la luminosité de la figure à l’ombre du fond, van der Helst - dont la renommée de portraitiste égalait celle de Rembrandt chez la bourgeoisie d'Amsterdam - a joué de la blancheur de la lingerie et de l’hermine pour modeler dans une légère pénombre le visage et la main. Cette harmonisation de la figure et de son environnement confère au personnage une douceur et un charme qui préviennent le caractère “ démonstratif ” que pourrait porter un tel sujet. On peut lire en effet sur le livre ouvert ce dialogue édifiant : : Qui méprise le liquide de Bacchus montre sa déraison/ le vin est la pierre sur laquelle s’aiguise l’esprit obtus et voilé/ on voit la table du sage sans cesse ornée de vin/ la vigne est plantée pour l’assistance du corps et de l’esprit." "La femme : On trouve raisonnable celui qui boit à satiété/ mais l’abus montre comment Loth déchut par le vin./ L’intempérance est mère de tous les vices/ dans l’excès sombrent sagesse, corps et âme." Ce double quatrain évoque l’ambivalence qui caractérise tout un pan de la peinture nordique du XVIIe siècle, partagée entre l’exaltation de la vertu - qui seyait à l'éthique protestante - et la sensualité dont la peinture à l’huile est potentiellement riche. La construction laisse d'ailleurs penser qu'un deuxième tableau faisait pendant à celui-ci. Comme le texte, la forme et du fond tiennent un double langage : l’image de la modération s’exprime sur une surface chaudement colorée où le vin coule, métaphoriquement, dans le vermillon du costume.
Le Christ et la femme adultère
Le sujet est cher à la peinture vénitienne du XVIe siècle, comme l'est la composition présentant des personnages de près et à mi-corps. Le meuble sur lequel l'accusateur a le bras posé est également familier des Vénitiens, qui utilisaient les parapets afin de concentrer l'attention sur les attitudes corporelles, l'expression des mains et le jeu des regards. Il est tentant de rapprocher le tableau d'une composition de même sujet par Lorenzo Lotto (aujourd'hui au Louvre) daté de 1525. Les deux peintres s'étaient rencontrés à Bergame, où Cariani séjourna entre 1518 et 1524. Dans la juxtaposition des visages, la force caricaturale et la dureté de certaines d'entre elles, les deux artistes témoignent de la connaissance de Lucas de Leyde et de Dürer, actif à Venise en 1505-1507. À l'égal de Lotto, Cariani résiste à la fluidité, au flou du tonalisme issu de Giorgione par un chromatisme vigoureux. Vivacité des couleurs, richesse des vêtements orientalisant somptueusement colorés, contribuent à l'originalité de cette œuvre, sans doute peinte autour de 1530, bien après le Portrait d'un violiste présenté à ses côtés. Cette acquisition est caractéristique du choix des Magnin. Ils n'avaient pas les moyens d'acheter des œuvres des plus grands maîtres, mais eurent la volonté de révéler des talents méconnus et de montrer que l'histoire de l'art se fait aussi à l'ombre des plus grands. De même que le parti ténébriste du Tintoret est évoqué à travers L'Entrée du Christ à Jérusalem sur le pan de mur adjacent, Le Christ et la femme adultère et le Portrait d'un joueur de lira da braccio de Cariani semblent vouloir rendre compte de l'univers de Titien dans la collection.
Suzanne et les vieillards
Deux vieillards, obsédés, par la beauté d'une femme nommée Suzanne, la surprennnent alors qu'elle prend son bain dans son jardin. Ils racontent qu'elle les a attirés pour tentent de ruiner sa réputation. Cet épisode, quoique marginal dans la Bible (il figure dans un appendice au Livre de Daniel), a été très plébiscité par les peintres à partir de la Renaissance. Il fournissait en effet un bon argument pour peindre un nu féminin, puisque la représentation du corps humain dans sa nudité n'était encore admise que pour les sujets religieux.
À partir du XVIe siècle, cette histoire se transforme souvent en scène galante profane ; vous pourrez en voir un autre exemple dans la dernière salle italienne, traitée d'une matière totalement différente par Pellegrini, au XVIIIe siècle. En 1561, date de l'exécution de cette œuvre, Allori est rentré à Florence après un séjour de six ans dans la Ville éternelle. Les biographes ont insisté sur l'importance de l'art de Michel-Ange sur un artiste qui a alors entre 19 et 25 ans. Mais dans ce tableau, la seule influence michelangelesque réside dans l'aspect monumental conféré au vieillard situé à gauche. La culture est plutôt florentine et flamande : l'admirable figure maniériste de Suzanne évoque certains modèles de Bronzino - le maître d'Allori - de même que la fermeté du dessin, le coloris clair et acide (les jaunes, les bleus-verts) disposés autour du nu aux teintes délicates, une recherche décorative qui se détourne des harmonies habituelles. La facture lisse et soignée, le réalisme des visages, le soin apporté au rendu des drapés ou les détails de nature morte sont empruntés à l'art flamand, peut-être Jan van Hemessen et Jan Messys. Le chien mordant le pied, les doigts de Suzanne s'enfonçant dans la tête du second vieillard et le geste audacieux de celui-ci, sont aussi d'esprit nordique.
Le mouvement compliqué de torsion traduit la vivacité de la surprise. La densité - toute maniériste - de l'image est saisissante : dans la plupart des représentations, les vieillards épient à distance. Elle dramatise la scène et met Suzanne en danger de viol, comme le montrent l'expression avide des vieillards et la brutalité de leurs gestes. Le refus de la jeune femme se lit dans son regard effrayé, la crispation du visage et l'énergie des mains. Dans le sillage de la floraison artistique sans précédent de la Renaissance et dans une période où les grandes certitudes sont remises en question, peintres et sculpteurs défient leurs devanciers par la virtuosité de créations raffinées voire précieuses. Les codes esthétiques ne visent pas la vérité de la nature, mais l'élégance ou la nouveauté : le corps humain s'allonge, la tête s'amenuise, les formes sont volontiers sinueuses ou alanguies, le contrapposto accentué, les harmonies de couleur audacieuses. La couleur est cultivée pour elle-même, pour le rapport abstrait de ses valeurs propres plus que pour rendre compte du réel. Le jeu intellectuel l'emportant sur la fidélité à la nature, cet art élitiste flattait le goût d'un public de cour, souvent érudit.
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