Intérieur d'un atelier d'artiste

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Troisième partie

Paysage, effet de soir tombant

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Il faut l'œil d'un artiste très sûr pour avoir discerné l'intérêt plastique d'un paysage constitué de lignes quasi-horizontales et de longues pentes douces. La mise en page du paysage frappe par son audace : aucun portant, aucune coulisse formant repoussoir pour s'opposer à la fuite horizontale du mur, ponctuée seulement par la spirituelle silhouette d'un homme en tête-à-tête avec son chien. Si le motif paraît presque banal, le moment est rare. Le jour tombe, le soleil se cache derrière les collines, unifiant dans une blondeur ambrée la nature entière et laissant encore un fin ourlet de lumière sur le mur, invitation pour l'œil à se promener dans le paysage. Le promeneur accoudé au muret sur lequel s'est installé son chien avec qui il semble dialoguer en silence se découpe d'ombre et de lumière ; mince silhouette mais élément essentiel, donnant l'échelle et la profondeur, note charmante d'humour un peu mélancolique.

L'attribution à Moreau l'aîné a été mise en cause : la facture de cet artiste est généralement plus brillante, son dessin plus aigu, l'organisation de ses compositions plus animée. Par ailleurs, Moreau ne paraît pas avoir quitté l'Ile-de-France ; or, la qualité de la lumière et surtout les silhouettes de ce qui semble être des pins parasols, désignent plutôt l'Italie. Il s'agit, quoiqu'il en soit, d'une œuvre annonciatrice du paysage romantique.

Jeanne Magnin :

« Le déclin d'une brûlante journée de juin où le soleil, bas à l'horizon, fait le ciel rose. Déjà une fraîcheur monte du vallon boisé vers lequel se penche, comme pour y puiser l'apaisement de sa fièvre, un jeune homme mélancolique ; il rêve, solitaire, et confie sa peine au chien fidèle qui l'écoute gravement, dressé sur la clôture à demi éboulée où croissent les herbes folles. La terre respire et se repose dans l'attente du soir ; un rayon attardé court en trait de feu sur la crête du mur, soulignant au passage l'habit feuille-morte du svelte cavalier ; un poudroiement d'or flotte dans l'atmosphère, toute la clarté s'est réfugiée au ciel, si près de s'éteindre. La grâce et la justesse de l'effet de nature, la poésie du sentiment ont leur source dans l'exquise notation des valeurs ; un métier très sûr se dissimule sous le délicieux nonchaloir de l'exécution. Louis Moreau qui, dans ses gouaches si prisées, s'en tient à l'élégance menue d'un petit maître du XVIIIe siècle, se révèle dans la peinture à l'huile comme un grand précurseur du paysage moderne. »

 

Le Siège de Tournai en 1667

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Adam Frans van der Meulen avait travaillé auprès de Charles Le Brun pour la tenture de L'Histoire du Roy, qui constitue une des étapes importantes dans sa carrière puisqu'il réalisa les esquisses peintes préparatoires aux cartons. Elle lui permit de s'imposer au sein de la Manufacture des Gobelins où il s'était installé en 1664, comme le peintre des conquêtes du roi. Les voyages qu'il entreprit dès 1665 dans les villes conquises lui permirent de compléter les scènes historiques avec une représentation réelle des lieux de l'action.

Dès 1662, Le Brun songeait à célébrer les hauts faits du règne de Louis XIV, tant civils que militaires, et commença à élaborer les premiers sujets. Un ensemble de 14 tapisseries fut donc réalisé. Le programme iconographique, établi au fil des événements, fut enrichi par les victoires rapides de 1667, dont certaines furent retenues dans la tenture. Cette guerre dite de Dévolution, menée par Louis XIV en Flandre en 1667 puis en Franche-Comté en 1668, lui permit de conquérir des territoires revendiqués au nom des droits de Marie-Thérèse, à la suite du décès de son père Philippe IV d'Espagne. Le siège de Tournai, auquel prit part Louis XIV, ne dura que quatre jours ; la ville se rendit le 25 juin et elle fut rattachée à la France lors du traité d'Aix-la-Chapelle (2 mai 1668).

Pour la tenture, Le Brun choisit de représenter les soldats dans une tranchée avec au fond le jeune Louis XIV, dont l'impétuosité au feu se trouve freinée par des officiers qui tentent de le retenir. Si la conception de cette pièce revient en grande partie à Le Brun, van der Meulen fut chargé de réaliser des études préparatoires et une esquisse peinte, qui est peut-être celle du musée Magnin.

 

Bureau de dame à deux pentes

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Ce petit meuble estampillé Bon Durand, dont la particularité est de posséder deux pentes identiques, est un bureau en dos d'âne. Le secrétaire à pente apparaît vers 1730, au moment où ébénistes et mécaniciens s'ingénient à trouver des solutions pour fermer l'ancien bureau à gradin. La double pente est une spécificité très rare (il en existe un exemplaire illustre, au musée Getty à Los Angeles, estampillé B.V.R.B.). La grande simplicité, la faible hauteur, l'absence de bronzes de protection de celui du musée Magnin fontpenser à un meuble créé pour deux jeunes sœurs.

La sobriété du décor permet d'apprécier l'une des caractéristiques de l'art de Bon Durand : le soin apporté au frisage*, ici en ailes de papillon. La finesse du travail se perçoit aussi dans le léger galbe des pans latéraux. La jonction entre le bois de violette et le bois de rose se fait par l'intermédiaire d'un mince filet de buis. Le chanfrein des pieds et le clair-obscur de leur placage - en bois de rose enserrant du palissandre – participent à la légèreté de l'ensemble. 

Ce petit meuble ne survivra pas au style Louis XV, sa silhouette ne s'adaptant pas aux lignes classiques et plus rigoureuses de l'époque suivante. C'est ce qui explique qu'on n'en trouve sans doute plus qu'une trentaine d'exemplaires dans le monde.

* frisage: à la différence de la marqueterie qui consiste à insérer des pièces aux formes des motifs, le décor du frisage est apporté par le dessin des veines mis à jour par la découpe du bois de placage puis mis en valeur par la juxtaposition ordonnée des plaques découpées.

 

Paysage d'Italie

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Si ce tableau est bien de Girodet, il est l'un des rares témoignages aujourd'hui connu des paysages peints par l'artiste lors de son séjour en Italie, de 1790 à 1794. Cette peinture, à la touche visible, à la couche fine, et qui comporte un dessin sous-jacent, pourrait avoir été peinte lors de l'une des sorties dans la nature qu'il fit avec le paysagiste Péquignot ou au retour de l'une d'elles. Il s’agit vraisemblablement d’un paysage des environs de Naples, puisque Girodet n’eut pas le temps d’entreprendre de telles œuvres pendant son séjour romain. 

Girodet se souvint vingt ans plus tard avec nostalgie de son séjour napolitain : 

« Champs du Vésuve, ô vous que mes pas ont foulés ! / Beaux vallons, frais côteaux, grottes inspiratrices, / Antres voluptueux, attrayants précipices ; / Vous aussi, monuments du génie et des arts / Dont votre sol fécond a charmé mes regards, / Avant qu'à mes yeux luise une dernière aurore / Puissé-je en mes vieux ans vous contempler encore ! »

La composition, où végétation et fabriques de couleur terreuse alternent pour étager l’espace, est déjà bien arrêtée. Emplie d'une grandeur classique, cette petite toile sans personnage n'en est pas moins intéressante par l'absence de tout argument historique et annonce, en ce sens, l'évolution du paysage vers un genre autonome. Sans doute induits par le souvenir de son ami Péquignot, Girodet eut des accents romantiques à propos du paysage, « ce genre de peinture universelle [...] auquel tous les autres sont subordonnés parce qu'ils y sont renfermés ».

 

Filippo Lippi et Lucrezia Buti

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Exposé à Paris, au Salon de 1824, ce tableau assura d'emblée la célébrité de Paul Delaroche. Le goût romantique pour l'histoire et les efforts officiels en vue d'un renouveau catholique poussaient le jeune peintre à choisir surtout des sujets historiques ou religieux ; il représente ici un épisode romanesque de la vie du peintre italien de la Renaissance, Filippo Lippi ; chargé de peindre une madone pour un couvent près de Florence, il s'éprit de l'une des religieuses, la belle Lucrezia Buti, la prit comme modèle et parvint à la séduire. L'exactitude historique aurait exigé de peindre Lippi tel qu'il était, un moine de cinquante ans ; mais Delaroche a gommé le scandale de cette passion en figurant le désir d'un jeune homme amoureux et le trouble sentimental de Lucrezia. Pour chacun, l'expression du visage se double d'un geste éloquent : le mouvement pressant du genou, et le relâchement de la main d'où va glisser le chapelet. La jeunesse des héros rendant leur faute plus excusable, Delaroche peint simplement une histoire d'amour en marge de l'histoire de l'art.

Le tableau de Paul Delaroche s'inscrit dans la série des œuvres du XIXe siècle qui représentent des épisodes importants de la vie de peintres illustres : L'Enfance de Giotto, d'Henri Forestier dépeint la scène où le jeune Giotto prouve son talent au peintre Cimabue qui va le prendre dans son atelier.

Les peintres du XIXe siècle rendent ainsi hommage à leurs grands devanciers, en les représentant au travail (ou comme ici distraits de leur travail), avec leurs amis et disciples, ou sur leur lit de mort.

Jeanne Magnin : « Le Quattrocento traduit en style troubadour, romancé, non pas romantique. L'oeuvre s manifeste essentiellement juvénile par sa fraîcheur naïve, où les effusions du sentiment intéressent l'artiste bien plus que le beau métier, malgré le soin méticuleux qu'il a pris du traitement lisse et blaireauté. Ce tableau, exécuté pour M. Demazure de Bergues, fut l'un des succès du Salon de 1824. Delaroche avait eu pour modèle un camarade de l'atelier de Gros, le peintre d'histoire Roger (1797 ou 1800 – 1880), que son joli physique prédestinait évidemment à figurer dans une histoire d'amour.»

 

La Vague

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Cette œuvre est la seule esquisse en terre conservée de Préault, issue paradoxale pour un artiste dont on a loué le pouce fiévreux. Comme les sculpteurs romantiques de sa génération, Préault fut en butte dans son jeune âge à l'hostilité du jury académique qui présidait à la sélection des œuvres au Salon, seule voie à la notoriété donc à la commande, en ces années 1840. De dépit, Préault détruisit des terres cuites ; un incendie survenu dans son atelier pendant les événements de la Commune acheva l'œuvre destructrice.

La face présente un nu féminin en fort contrapposto et une étude anatomique très poussée et presque caricaturale de la musculature, sur le modèle plastique de Michel-Ange. Le nu se détache sur un fond : il est travaillé en haut relief, domaine où Préault était particulièrement à l'aise. Le mouvement de la vague est traité comme une draperie passant au-dessus de la tête, avec un graphisme exacerbé au dos. Les volutes aquatiques ne sont pas sans évoquer la célèbre estampe d'Hokusai et les variations décoratives de l'Art Nouveau. Mais l'emportement sauvage, l'accentuation presque caricaturale des traits et l'extrême originalité avec laquelle est traité ce thème décoratif rappellent que l'art de Préault est inclassable.

On ignore le titre que Préault donnait à cette œuvre, comme on ignore si elle représentait l'une de ces ondines évoquées par la littérature fantastique de l'époque. Connaissant le peu de goût du sculpteur pour les petits objets, on peut penser que cette esquisse a été faite pour une exécution à une autre échelle. Avec le vase que tient sa main gauche, elle est peut-être une figure décorative de Fleuve, traitée avec la part d'indétermination d'un artiste qui, au temps des débats pro ou anti-académiques suscités par le romantisme, proclama : « Je ne suis pas pour le fini, je suis pour l'infini ».

 

Sultane

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Le jeune Devéria fit en 1822 la connaissance d'une amie de sa mère, séduisante créole qu'il aima longtemps avant de l'épouser. Elle fut peut-être cette femme épanouie, à la carnation lumineuse, aux formes rondes et lisses, qui incarne une sensualité rayonnante.

Le turban rouge mollement enroulé souligne l'ovale du visage, et l'éventail de plumes est tenu dans une pose gracieuse des mains. Ces deux accessoires font songer à un déguisement oriental fantaisiste comme y prenait plaisir la société joyeuse que fréquentait le jeune peintre. Mais le décolleté très ouvert, le regard tranquille qui se détourne et s'accompagne d'un demi-sourire amusé, suggèrent l'intimité du peintre avec son modèle.

Cette œuvre brillante témoigne d'un "orientalisme d'atelier", exotisme qui, comme aux deux siècles précédents, attira les suffrages du public et renouvela l'inspiration du portraitiste. 

Eugène et Achille Deveria sont étroitement liés au romantisme français. Eugène illustre le goût romantique pour l'histoire et l'exotisme. Vous pouvez aussi voir de lui dans la salle précédente Lady Rowena recevant la cassette des mains de Rebecca, d'après Ivanhoé, le roman de Walter Scott. Son frère Achille, surtout célèbre par ses gravures et lithographies, fut aussi le témoin de cette époque. Il connut le succès par sa série de portraits contemporains et par des sujets badins qu'il sut traiter avec esprit. Vous en verrez un exemple dans La jeune fille dessinant au pied d'un arbre.

Jeanne Magnin : « Un des meilleurs morceaux d'Eugène Devéria, où il se montre le plus parfaitement peintre : d'inspiration flamande, mais dans la manière française, plus tournée à l'effet décoratif. Les appétits de chez nous ne sont pas si exigeants qu'on ne les contente avec du goût et de l'esprit. Ils se satisfont ici d'un turban écarlate et d'un manteau de velours gris avivant à point l'éclat nacré de chairs plantureuses. Un hardi rappel de couleur fait bénéficier du même rouge violent et séduisant l'écran de plumes que tient distraitement une longue main aux doigts effilés. »

Extrait musical : Hyacinthe Jadin (1776-1800), extrait de la Sonate op. 4 n°3 pour pianoforte

 

La Nuit sur la lagune

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Depuis la Cité des Doges, où il séjourne en 1880, Bastien-Lepage écrit à son frère : « Depuis huit jours que je suis ici, j'ai fait quatre études qui seront presque quatre tableaux : un clair-de-lune, deux petites études sur les canaux et une plus grande au soleil couchant (...) ». Terminé l'année suivante à Paris, notre tableau correspond sans doute au premier projet.

Le peintre signe ici une composition très synthétique et économe de moyens, qui n'évoque en rien les scènes paysannes qui lui étaient coutumières, et que l'esprit d'analyse et le sens du détail rattachaient au naturalisme. C'est un exemple des œuvres atypiques que les Magnin ont recherchées. Le parti tendant vers la monochromie rappelle inévitablement les œuvres contemporaines de Whistler, même si Bastien-Lepage ne voulut pas imiter le métier mince du peintre d'avant-garde. La visite du Français à la Grosvenor Gallery où, du 2 mai au 31 juillet 1881, Whistler présentait plusieurs oeuvres inspirées de Venise, fut sans doute déterminante. 

Jeanne Magnin parle d'une "symphonie en bleu où l'artiste n'a pas cherché un effet, mais où il a traduit pour lui-même une impression intime de son unique voyage à Venise, accompli en 1880, alors que déjà il sentait les premières atteintes du mal qui devait l'emporter. Sa sensibilité exacerbée nous communique l'émotion dont l'a pénétré la féerie de la nuit bleue sur les flots bleus ; la ligne continue des îlots se silhouette en noir entre l'onde et le firmament où les nuées, poussées par le vent du large, voilent et découvrent tour à tour l'astre d'argent au cours de leur vol impétueux. Poésie aiguë, frémissante, traduite par la palette et le pinceau comme elle le serait par le rythme et par la rime, magie du souvenir qui s'exalte dans le rêve".

ATELIERS D'ART ENFANTS / AVRIL 2024
VENDREDI 19 AVRIL
A.-X. Leprince, Le Peintre dans son atelier
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